On aperçoit bien le sentier muletier
Rocca Sparvièra est situé à une trentaine de kilomètres au nord de Nice et dresse ses ruines confondues à la roche grise au-dessus du col Saint Michel. Ce village fantôme, dans un décor sauvage, est marqué de légendes sanglantes où se mêlent crime et anthropophagie stimulés par la vengeance (vendetta).
Au téléobjectif, on peut distinguer les ruines du village et la chapelle à gauche
Au Moyen Âge, ce lieu aurait été maudit par la Reine Jeanne* à qui on aurait servi ses enfants assassinés au souper du Réveillon de Noël. Plus tard, pendant les guerres de la Révolution, les patriotes Barbets (résistants niçois), réfugiés dans les ruines, feront manger à des soldats français le cœur de l’officier meurtrier de l'un de leur père. Ma aqui si fermà la Légenda per laissà plaça a l'Istòria ...
Le Pays Niçois, un ocean de montagne
Le village, dominé par les restes de son château, s’accroche sur une crête rocheuse surveillant le col, passage obligé d’une voie inter-vallée. Il faut compter trois bonnes heures de marche pour y accéder.
Le chemin est aérien et la randonnée commence à etre sportive
Une cinquantaine de bâtisses ruinées s’entassent dans une enceinte avec les traces d’un four et d’une citerne. Des caves voûtées sont encore debout. Au nord-est, les vestiges de l’enceinte sont complétés par les restes du logis seigneurial avec fenêtres à meneaux. Une sorte de poterne effondrée s’ouvrait au nord de l’enceinte.
Les neiges sur une partie du massif du Mercantour (Alpes Maritimes)
Les grandes façades surplombant à l’est le chemin de l’Engarvin sont datables du XVIème siècle. Seule subsiste intacte sur une plate-forme, la chapelle Saint Michel, restaurée en 1924 sur les structures de la paroissiale.
Col St Michel et le rocher des éperviers. Le plus dur est à venir !
Revenons sur les origines de Rocca Sparvièra qui apparaît pour la première fois dans l’Histoire dans deux chartres du XIIème siècle recensant les paroisses dépendantes de l’évêché de Nice. Le château est mentionné en 1358 dans le contrat d’inféodation et acquis avec son fief pour 700 florins d’or par Pietro Marquesan di Nizza.
Panorama sur le Pays Niçois (pais nissart)
En 1364, la Reine Jeanne de Naples élève le fief au rang de baronnie, mais une invasion de sauterelles anéantit les cultures. La misère se poursuit au point qu’en 1376 la petite communauté est déclarée insolvable. Au dédit de Nice de 1388, Pietro Marquesan se verra gratifié d’une pension spéciale de 200 florins d’or par le Comte rouge (Amédée VII). La famille Marquesan conservera ensuite la seigneurie jusqu’en 1781.
Mais un sort funeste semble s’acharner sur ce malheureux village victime d’une série d’épidémies de peste au XVIe siècle emportant une partie de la population. De plus, une suite de redoutables tremblements de terre vont détruire une partie des maisons entraînant le début de son abandon.
J'aperçois la chapelle Saint Michel
L’abandon progressif de cette commune qui aurait compté jusqu’à 350 âmes avant ces bouleversements, avec administration communale et même un notaire, va s’échelonner tout au long du XVIIème siècle.
La chapelle Saint Michel à 1100m et son pré bien vert au milieu des rochers calcaires
Si en 1690 quelques irréductibles s’accrochent encore aux ruines, dix ans plus tard, seuls le curé et sa servante y résideront encore avant de se résigner à partir eux aussi en 1723. L’abandon s’explique d’une part par l’absence d’eau sur ces hauteurs au relief tourmenté où seules des citernes d’eau de pluie devaient permettre une vie précaire, d’autre part les destructions des tremblements de terre qui malmenèrent effroyablement les villages plantés sur le roc.
Les vallées niçoises
La terrible malédiction de la Reine Jeanne expliquerait pour certains les malheurs successifs de Rocca Sparvièra. Voici donc la terrible histoire de Rocca Sparvièra, (le rocher aux éperviers), et la légende de la reine Jeanne : Accusée d'avoir assassiné son premier époux André de Hongrie**.
On monte vers le village et la cime de Rocassièra(1500m)
Poursuivie par une famille hurlant à la vengeance, la reine Jeanne, accompagnée de ses deux enfants, Catarina et Francesco, de leur nourrice, d'un prêtre et de gardes, trouva refuge dans son château de Rocca Sparvièra. L'endroit était bien choisi, car dissimulé à la vue depuis les vallées, situé sur une pente escarpée et facilement défendable car n'ayant qu'un seul accès, le petit sentier ne laissant passer qu'une personne à la fois.
Derriere les montagnes, la capitale du comté
Les villageois n'apprécièrent que très modérément de nourrir tout ce petit monde alors qu'ils peinaient déjà à subvenir à leurs propres besoins. La terre est très rocailleuse et pentue, n'offrant des terrains exploitables pour les cultures qu'à la gauche du village ou subsistent des terrasses étroites.
Ruines de Rocca Sparvièra
Mais, les hommes à la solde de la cour de Hongrie retrouvèrent leurs traces et firent en sorte de s'assurer de la collaboration des habitants en les ravitaillant. Le prêtre, Don Pancrazio grand ami de Dionysos, ne put résister à la tentation du bon vin. Profitant de son absence, le prêtre fit entrer ses nouveaux amis dans le château, espérant lui aussi célébrer Noël à sa façon.
Ces nouveaux venus, se présentant comme des commerçants, lui permirent d'entretenir de grandes discussions théologiques avec cet ami de toujours. Tant et si bien qu'il ne fut bientôt plus en mesure d'assurer les offices dans la chapelle Saint Pierre de Coaraze.
La Reine Jeanne tres pieuse tint à assister à la messe de minuit dans l’église du village voisin de Coaraze. Elle laissa ses deux enfants à leur nourrice. En chemin, la Reine Jeanne fut saisie par un pressentiment accentué par les croassements d’un sombre vol de corbeaux qui semblaient répéter : « la Reine va à la messe, lorsqu’elle reviendra elle trouvera table mise ! ». La Regina en venant de la messa, ven trouvera corsa taoula messa..
Des arches qui tiennent par miracle ?
La reine, obsédée par la prophétie, quitta précipitamment l’office, au grand émoi des fidèles qui pensèrent que la reine avait le diable dans la tête. A son retour au château, la reine découvrit un horrible spectacle : le curé ivre mort, la nourrice gisant dans le bûcher et sur la table du festin, couché sur un plat, les corps nus des pauvres enfants avec un large couteau planté dans la poitrine.
Selon d'autres sources, ils auraient été découpés en morceaux... Folle de douleur, la Reine Jeanne repartit le lendemain vers Naples, après avoir fait incendier le château. Sur le chemin, elle se retourna vers le rocher de Rocca Sparvièra et proféra cette terrible malédiction:
La pente devient plus raide et aérienne
« O ròca, ròca roquina, un jou vendrà que sus li tieu cimas canterà plu ni gal ni galina, mas solets lu esparviers e autres aucèus sarvatgiers ! (Roche sanglante, roche maligne, un jour viendra où sur tes ruines ne chantera plus ni le coq ni la poule, mais seulement les éperviers et autres oiseaux sauvages». (traduction niçoise-française)
Des rochers aux formes de visage
Depuis, le maléfice s’est réalisé. Malédiction ou coïncidence, toujours est il que le village subit à plusieurs reprises de violents séismes et fut totalement abandonné par la population depuis le XVIème siècle. A noter cependant qu'en vérifiant sur des sources historiques, les deux enfants susmentionnés et qu'elle eut de son second mariage avec son cousin et amant Louis de Tarente sont morts en 1364 pour Catarina, l'ainée, et en 1352 pour sa cadette Francesca... Et c'est à cet endroit que l'histoire devient légende !!!
Une vipere d'Orsini passe devant moi
*Fille de Charles de Calabre, Petite fille de Robert d’Anjou, première du nom, reine de Jérusalem, de Naples et de Sicile, duchesse de l’Apouille, princesse de Capoue, comtesse de Provence, de Nice et du Piémont. La Reine Jeanne est « l’héroïne » d’une bien horrible légende.
Le visage de la reine Jeanne ?
Pauvre Reine Jeanne, la légende lui a prêté le bonheur d'avoir eu les enfants dont l'histoire l'a privée. Cette absence d'héritiers directs est à l'origine de la guerre civile qui se solda par la dédition du futur Comté de Nice en faveur des Comtes de Savoie. Elle fut assassinée ensuite par Charles III de Durazzo.
Beaucoup de Cistes tout le long du sentier
**La bataille entre les différentes familles pour obtenir le pouvoir conduisit à l'assassinat d'André de Hongrie en 1345... Il se dit que Jeanne en aurait été commanditaire. En 1347, Louis de Hongrie, afin de venger son frère, marcha sur Naples avec son armée et envahit la région. Jeanne se réfugia dans le Pays de Nice indépendant de la Provence allié des Anjous. C'est là que l'histoire devient légende…
Il faut maintenant redescendre le sentier et reprendre le vehicule la bas au loin !
Une légende à faire dresser les poils des bras et à vous donner la chair de poule. On pourra s’interroger, dans cette vision fantasmagorique, comment purent vivre dans ce lieu isolé et perché sur une roche inhospitalière 350 habitants coupé du monde..
A bientot pour une autre randonnée
DIAPORAMA DE LA RANDONNEE