La terrasse sur la mer
Avant l'époque romaine et grecque, la région niçoise a été habitée par plusieurs peuples ligures. Mais avant d’être une province romaine, les phocéens installèrent des comptoirs sur les frontières de la future Riviera.
Nice fut fondée au VI ème siècle avant Jésus-Christ par des grecs qui l’appelleront Nikaia. Nombre d'histoires ont été faites sur notre cité azuréenne. Beaucoup ont ainsi longtemps pensé que la fondation de Nice puisait, à l'instar de celle de Rome, ses sources dans la mythologie.
La légende rappelle que Bacchus, après avoir traversé l’Astacus (mer Caspienne en Turquie), s'approche de la forêt voisine, qu'habitait une jeune nymphe nommée Nicê ou Victoire, avec qui il a commerce et dont il a un fils, auquel il donne le nom de Terme, ou de Télétêt.
Il bâtit dans cet endroit de la ville de Nicée, ou de la Victoire, appelée ainsi du nom de cette nymphe. La cité niçoise trouverait donc ses origines dans le nom de la déesse grecque, Nikaia «la victorieuse».
Les jardins donnant sur le petit port
«Mais de quelle victoire parle-t-on ? De qui et sur quoi ?» Beaucoup pensent qu'il était question de la victoire des Grecs sur les Etrusques ou sur les Ligures. Mais, c'est une légende ! Les Grecs n'avaient pas vocation à coloniser le sud de la France actuelle comme le feront au IIe siècle avant notre ère les Romains au même endroit.
Le péristyle, cour centrale, est l’un des fondements essentiels d’une maison antique. Il est entouré de douze colonnes en marbre de Carrare, six fresques ornent les murs
Ces Phocéens venus du Moyen-Orient avaient en réalité pour ambition de commercer avec les populations indigènes et locales (les étrusques et les ligures dans l’actuel département des Alpes Maritimes, les gaulois pour les autres départements).
Ils ont ainsi à partir de Marseille créé des petits comptoirs sur le littoral, tels Antibes, Monaco et de la même façon Nice. Ce sont les attaques répétées des Etrusques et des Ligures (Décéates et Oxybiens) contre Nikaia / Nice et Antipolis / Antibes qui obligèrent les Grecs à solliciter l’aide de leur grand allié Rome.
Le Balaneion est la pièce dédiée aux naïades et constitue les thermes
Rome mit cinquante ans à soumettre les tribus ligures et étrusques alors qu'elle conquit la gaule en quatre jours. Aujourd’hui l’un des plus représentatif habitat traditionnel grecs se trouve dans les environs de Nice, c’est la villa Kérylos.
L’Andron ou salon des hommes dont les murs sont revêtus de marbres d’Italie.
Sorti des rues de l'Athènes de Périclès, un cube monumental trône sur un promontoire où devrait pousser une poignée de pins parasols. Cette forteresse blanche, c'est la Villa Kérylos, dans la rade de Beaulieu, à deux pas de Monaco ou Hercule accompli l’un de ses 12 travaux.
Comme dans toutes les pièces, le plafond à caissons en bois de teck est richement décoré
En grec, cela signifie «alcyon», une hirondelle de mer, toujours à planer sur les vagues. La villa Kérylos constitue l’exemple le plus remarquable de reconstitution d’une demeure de la Grèce antique. Nulle part dans le monde, et pas même en Grèce, on ne peut trouver un musée aussi évocateur de l’existence quotidienne des anciens hellènes, un témoignage aussi vivant de leur époque.
Le plafond en bois est décoré à la feuille d’or sur fond bleu
Ce Palais est envoûtant dans son intimité. L'intérieur et le jardin sont un îlot de grâce, de légèreté, de jeunesse, d'élan et de simplicité. Du vestibule au péristyle et des galeries basses aux terrasses, la lumière est aussi fraîche qu'au premier matin de l'Histoire. On se croirait en pleine mer.
Le Triklinos est la salle à manger. Les lits tressés de cuir, dressés à hauteur des tables à trois pieds, permettaient de prendre les repas allongé
Sortie de l'imagination de trois frères, cette merveille est une ode à la démocratie grecque, à la culture classique et à leur héritière, la ville de Nikaia, la Nice actuelle, capitale d’une région bénie des Dieux de l’Olympe. Joseph, Salomon et Théodore Reinach étaient des hellénistes érudits, des grands bourgeois richissimes et des militants humanistes.
Le haut des murs est décoré de fins reliefs stuqués évoquant la légende de Dionysos
Ils datent de l'époque bénie où les gens très riches pouvaient être très savants. Avec les Ephrussi, les Cahen d'Anvers, les Rothschild, les Camondo ou les Haas, tous plus ou moins leurs cousins, ils incarnent la haute société juive qui couvrait ses murs de chefs-d'oeuvre avant d'en donner des brassées au plus grands musées du monde entier.
Pièce par pièce, ils firent venir les céramiques, les colonnes, les statues, jusqu'aux gonds de portes, aux sièges où il fallait être Thucydide pour s'asseoir à l'aise. Le résultat est éblouissant: un élixir d’Antiquité unique au monde.
A l'époque, les villages voisins jasèrent. Ces Grecs à moitié juifs (à moins que ce fût l'inverse) inspiraient des sentiments mélangés à la crémière, au curé et au notaire. On s'inquiétait. Leur nom avait été mêlé au scandale de Panama. La France qu'ils idolâtraient les couvrait d'injures. A leur propos, n'avait-on pas évoqué des sacrifices d’enfants ?
L’Ornithès est la chambre de Madame Reinach. Son nom signifie « les oiseaux
Qu'importe, ils étaient riches, polis et lointains. Ils ne semblaient pas si menaçants en costume trois pièces, face à la mer, toujours à caresser leurs moustaches en mal d’affection. La villa Kerylos sera le chef d’oeuvre de leur vie…sur cette mer Méditerranée qui a vu naitre les plus grandes civilisations modernes de la planète.
L’Ampelos, signifiant « la vigne », est la salle de bains de Madame Reinach
La maison terminée aura coûté sept millions de francs-or. Bien sûr ce projet se situe sur la Côte d’Azur, lieu de tous les excès. S'y réunit une riche société festive: tête couronnées, fortunes ancestrales, bourgeois enrichis par la spéculation, l'industrie, le commerce, le Grand Monde et le Demi-Monde.
On voit surgir tours vénitiennes, minarets, palais indiens, tout ce que l'éclectisme et l'exotisme peuvent proposer d'extravagant est ici réuni, mêlé, amalgamé. La villa Kerylos entre dans une série de demeures où s'exprime une individualité triomphante: chaque réponse architecturale est unique, elle correspond à la rencontre de deux personnalités fortes oeuvrant à la même oeuvre.
L’Oïkos est ici un salon dédié aux arts
Ce qui pourrait passer pour un caprice d'homme riche est le désir profond de vivre en harmonie avec des convictions profondes. Il recherche un climat, un rythme de vie, une mise en condition propice à l'application d'une philosophie.
Nikai est la salle de bains de Théodore Reinach, son nom signifie « les victoires »
Théodore Reinach et Emmanuel Pontremoli l’architecte, sont représentatifs d'une élite libérale curieuse, raffinée, révérant l'Esprit grec mais ayant une conception particulière de l'antiquité: littéraire, poétique, philosophique mais au contraire des conceptions de Schlieman, ils séparent clairement la vie et l'archéologie scientifique.
Le Triptolème est un salon de repos, dont le motif central de la mosaïque illustre la légende de Triptolème
Cette génération qui a quarante ans en 1900 verra ses idéaux emportés dans la tourmente de la guerre de 1914-1918. La villa achevée en 1912, il restait peu de temps à son propriétaire pour en jouir pleinement. La fracture sociale économique et culturelle créée par la première guerre mondiale fit qu'après rien ne fût pareil.
Les fortunes s'étaient défaites, les esprits avaient changé. Kerylos « petite hirondelle de mer » demeure aujourd'hui face à la mer, le vestige d'une époque où un érudit et son architecte réalisèrent en toute complicité une utopie joyeuse, ludique de recherche de sérénité dans cette partie de la Méditerranée qui fut considéré par les élites comme l’endroit le plus paradisiaque sur terre.
Erotès est la chambre de Théodore Reinach, dédiée à Eros
DIAPORAMA KERYLOS