LA PASSION DU CHRIST DEPUIS 552 ANS

Le vieux village de Roquebrune (Alpes Maritimes) et son château construit en 970 par Conrad Ier, Comte de Vintimille (Ventimiglia)

Pourquoi ce « rituel » immuable est-il instauré depuis 1467 ? L’histoire relate que la peste ravageait les régions méditerranéennes depuis Menton jusqu’à l’Espagne. Les origines de la procession du 5 août remontent à l’an 1467 à Roquebrune Cap Martin.

Panorama sur le Cap Martin et la principauté de Monaco à partir du village

Terrifiés, les Roquebrunois encore valides décidèrent de commencer une neuvaine de prière à la Vierge le 28 juillet. Le 5 août, fête de Notre Dame des Neiges et dernier jour de la neuvaine, le fléau cessa. C’est le soulagement : l’intervention divine tant attendue a eu lieu.

On démarre l'apéro avec les beignets de fleurs de courgette (Bignéta dé flou de cougourdéta)

De là, naîtra la procession. Coïncidence mystérieuse ou intervention divine, toujours est-il qu’il fut décidé en signe de reconnaissance de former tous les ans à la même date une procession où les habitants, en costumes d’époque, figurent les principales scènes de la passion du Christ entre l’église Sainte Marguerite et la chapelle de la Pausa.

Diaporama apéro: pissaladières, pichades, fougasses, pizzas, tourtes de courgette.....

Que vous soyez croyant ou non comme votre serviteur du blog, qu’importe ! À 10 h, l’église Sainte-Marguerite ouvre ses portes pour une messe traditionnelle. Un passage obligatoire pour s’imprégner de l’ambiance unique du 5-août. Pour ceux qui ne connaissent pas l’édifice religieux, l’église Sainte-Marguerite est une ancienne chapelle du XIIIe siècle, agrandie au XVe siècle et remaniée au XVIIe siècle.

Diaporama rues du village

À l’intérieur, plusieurs éléments décoratifs intéressants dont deux tableaux: la Crucifixion et la Déploration du Christ dus à Marc Antoine Otto. Au sortir de la messe, c’est bien souvent le moment des retrouvailles vers 11 h du matin avec un convivial apéritif d’honneur.

Tous les costumes se trouvent dans l'ancienne chapelle

Et la, je dis chapeau à la mairie et au comité des fêtes présidé par Josiane Marignani. Ici point de chips ou de cacahuètes, mais les spécialités locales pour festoyer: Pissaladieres, pizzas, tourtes de courgette, pichades, fougasses, beignets de fleurs de courges et un petit rosé de Provence qui regorge de soleil. Un vrai apéro du sud avec toutes les saveurs de la Méditerranée…celles qui ont du gout !

On se prepare pour la procession avec l'empereur romain Tibere

En présence, du comité d’organisation, des élus locaux et des autorités religieuses. Les allocutions sont bien souvent marquées par la fidélité au serment fait il y a plusieurs siècles, depuis 1467. Le discours relatant l’origine de la procession est rappelé. Les figurants qui s’apprêtent à défiler se retrouvent. Certains viennent des quatre coins de France.

Jesus dans l'église Sainte Marguerite de Roquebrune

A l’heure dite, pénitents et artistes se rangent sous la direction des metteurs en scène de cette pieuse figuration. Pour célébrer le 552e anniversaire de la victoire sur l'épidémie de peste grâce à la prière, cent cinquante figurants vont défiler de l'église Sainte-Marguerie jusqu'à la chapelle de La Pausa, à Menton.

Les habitants décident de témoigner une reconnaissance éternelle. Un acte de foi immuable, inébranlable. La communauté faisait donc le serment de former chaque année à la même date une procession représentant les six tableaux de la passion du Christ : Jésus au jardin des oliviers, Jésus à la colonne, ecce homo, Jésus sur le chemin du calvaire, Jésus sur la croix et Jésus au tombeau.

Le soutien de Judas

Cette journée symbolise l’identité roquebrunoise et revêt un caractère prépondérant pour tous les acteurs qui ont, bien souvent, hérité d’un rôle qui se transmet de génération en génération. Participer à la procession votive du 5 août revêt forcément un sens. Chacun des 150 figurants possède tous une histoire personnelle, des convictions, une foi assumée, ou pas, et des liens inhérents à cet événement immuable depuis 1467.

représentation des six tableaux de la passion du Christ

Mais qu’en est-il d’une jeune fille de 18 ans, bercée depuis sa tendre enfance à cette tradition ? Quel regard peut poser une jeune adulte sur cet acte de reconnaissance ? Et surtout, comment se situe-t-elle par rapport à son engagement ? Etant toujours intrigué par ces actes religieux, j’ai voulu poser la question à la jeune fille que vous voyez en photo dans mon article.

Laura Pastorelli vit sur la route de La Corniche, au dessus du village, et connaît déjà très bien cette procession: "J’y participe depuis que j’ai l’âge de 5-6 ans; j’ai été porteuse de panneau, ange et maintenant, je joue le rôle de sainte Marguerite", me dit-elle avec son visage innocent ou on lui donnerait le bon Dieu sans confession.

Départ de l'église Sainte Marguerite pour la chapelle de la Pausa

Après avoir décroché un bac S en 2018, elle cherche encore sa voie entre études et engagement professionnel. Un autre chemin de croix… Pour Laura, le chemin justement était tout tracé puisque sa famille très catholique est impliquée depuis plusieurs générations:

"Ma grand-mère Antonella et ma tante ont participé, mes cousins et cousines également, je ne sais pas si cela crée un lien familial, mais c’est sûr qu’on en parle entre nous.

L'agonie de Jésus-Christ au Jardin des Oliviers

Pour moi, le fait de participer permet de conserver cette tradition. Dans un monde qui se joue à vitesse grand V où l’hyper connectivité a gagné de nombreuses générations, Laura Pastorelli se pose le temps d’une respiration éternelle et décline son attachement à ce serment.

Anân et son Sanhédrin

Laissant même transparaître des réflexions profondes lorsqu’elle évoque son implication. "Sur le parcours, je me pose des questions par rapport à la religion, cela peut paraître stupide. Je me questionne sur le nombre de croyants ou non, sur le nombre de religions existantes, sur tout un tas de choses..." L’inspiration divine, sans doute.

Le village surplombe la Méditerranée 

Réfléchie, discrète et timide, la jeune fille a eu un cursus traditionnel s’agissant de son éducation chrétienne, "J’ai fait mes deux communions", me lâche-t-elle. Le minimum pour comprendre le saint-père. Et analyser le manque d’engouement des jeunes, de ses pairs. Je n’ose bien sur lui avouer que ça fait des lustres que je ne crois pas à tout cela….

Enfin vers 16H30 commence la procession, qui franchit le rempart qui borde encore le village vers l’orient, par le chemin ourlé d’oliviers et de citronniers, jusqu’a la petite chapelle de la vierge édifiée par le « populus Arcisbrunoe », ainsi que l’atteste une inscription placée sur le fronton du sanctuaire, et d’ou l’on découvre la cité de Menton toute colorée de ses influences italiennes, les premières falaises de la cote italienne.

Les esprits cultivés du pays prétendent, non sans quelque orgueil, que cette manifestation un peu théâtrale rappelle, avec plus de couleur et d’originalité, les célèbres passions d’Oberammergau. Mais, il y a dans les représentations de la célèbre cité bavaroise, une sincérité, une naïveté, une ardeur religieuse, qui ne se rencontrent peut-être pas à  Roccabruna francisé en Roquebrune Cap Martin depuis l'annexion.

Jesus tombe et est flagellé par le soldat

La population a gardé de ses origines ligures, de ses nombreux contacts avec les navigateurs grecs et les Génois, plus de fantaisie joyeuse, une langue sonore et chantante, des recueillements troublés de sensualités païennes.

Si le christianisme n’avait assis dans ces parages son autorité et ses rites, le sanctuaire ou vont s’agenouiller les pénitents roquebrunois serait probablement un temple consacré à la Diane d’Ephese, la chaste déesse qui jadis guida les élégantes nefs de Phocée voguant vers les lumineux rivage de la Riviera…

L'Empereur Tibere

Tous ces villages du comté de Nice sont représentatifs de la culture qui était la notre avant l’annexion frauduleuse de la France. Les gens sont trilingues, ils parlent aussi bien l’italien, le français que le patois local. Toutes ces traditions viennent immanquablement de leur pays d’origine qui fut la Maison de Savoie ou bien le Royaume de Sardaigne. Si vous faites attention aux boites aux lettres, ici point de Durand, de Dupont ou de Martin, mais des Santinelli, Bertaina ou Guidicelli....

C’est encore dans ces villages perchés du Haut Pays Niçois que l’on retrouve en grand nombre des habitants de souche…En fin de journée, à partir de 20 h, le comité des fêtes du village apporte sa touche festive à cette journée. Un peu plus de 600 litres de soupe au pistou sont préparés, notamment par des cuisiniers de renom : Jacky Tessore, Gamba, et Gilbert Carpi.

Servie gratuitement, la soupe au pistou draine de nombreux participants qui se doivent de prévoir couverts et assiettes. Autour de 22 h, le baleti est lancé. Je ne le cacherai pas, ces dernières années n’ont pas connu une fréquentation à la hauteur de cet événement si particulier. Si Roquebrunois, me dira t’on !

Notre Dame des Neiges

C’est vrai que la religion a tellement mauvaise presse ces dernières années avec des intégristes qui ne favorisent pas à l'engouement pour la foi et des croyants qui se posent beaucoup de questions sur la naïveté qu’évoque la religion.

Je m'arrête la, je n'irait pas plus loin.....

Que nous apporte concrètement la religion, et pourquoi avons nous choisi ou non d'en être adepte? pourquoi a-t-elle été créée et qu'a t elle apporté aux hommes jusque maintenant ?

Le Linceul est le linge qui enveloppa le Christ au tombeau et qui est retrouvé, vide, au matin de Pâques. Le Saint Suaire demeura à Nice jusqu’en 1543 emporté par Charles III, fuyant l’invasion française et se réfugiant à Nice avec son épouse Beatrice de Portugal. Ce sera le fils de Charles III, Emmanuel-Philibert, qui l’installera définitivement à Turin. Nice et le linceul de Turin ont en commun un morceau d’Histoire. Loin des polémiques scientifiques et des articles de foi, c’est ce morceau qui fait de cet objet de mystère et de curiosité une part indéniable de notre patrimoine niçois si riche en événement culturel.

                                        DIAPORAMA PROCESSION