Le Col de Tende Vallée de la Roya Alpes Maritimes
En raison de l'annexion du comté de Nice à la France en 1860, la frontière franco-italienne fut ramenée dans la vallée de la Roya, en contrebas du col de Tende. Pour se prémunir d’une éventuelle attaque française, l’Italie construit entre 1871 et 1885 une ligne de fortifications au sommet du col, comprenant un fort de barrage central, appuyé et protégé par cinq batteries fortifiées indépendantes (forts Pernante, Marguerie et Giaure sur l’aile droite, forts Pépin et Tabourde sur l’aile gauche).
plus haut, la montagne du Dieu Taureau à 3200m d'altitude Alpes Maritimes
Construit à 600 m à l’Est du col, sur un petit plateau offrant une vue dégagée, le Fort Central est la pièce maîtresse de ce dispositif. Il est construit selon un plan trapézoïdal, autour d’une cour divisée par un casernement central. Adossé à la pente dominant la vallée de la Roya, le fort est défendu sur trois côtés par un fossé sec battu par deux caponnières installées aux angles du front de gorge. Des casernements défensifs bordent l’enceinte sur le front d’attaque et les flancs.
Col de Tende Alpes Maritimes
L’artillerie du fort comprenait des pièces sous casemates de 150 mm, 120 mm et 90 mm, le tout complété par un magasin à poudre d’une contenance de 90 tonnes. La garnison comptait 120 hommes. Le casernement central, à contrepente du fort, possédait une boulangerie, des abattoirs, un hôpital militaire, un colombier, un central téléphonique et les bureaux de l’administration.
La table d'oriantation à 2000m d'altitude
Afin de faciliter le ravitaillement des 6 forts échelonnés sur la crête, inaccessibles par la route en hiver, un téléphérique d’une longueur de 3,2 km fut construit par les Italiens vers 1900, pour relier le col aux magasins situés en contrebas. Désarmés pendant la première guerre mondiale pour transférer leur artillerie sur le front autrichien, les forts du col de Tende servirent de réserves de munitions et de casernement pour les troupes de réserve italiennes durant l’entre-deux-guerres.
Fort Central
Après la seconde guerre mondiale, le rattachement des villages de Tende, de Piene haute (Breil sur Roya), de Mollieres, de Libre, de la Brigue, de Morignole et de bien d'autres hameaux de l'ancien comté niçois à la France en 1947 amena une nouvelle correction de la frontière qui passe désormais au nord de la ligne de crête du col. Cette modification et la vétusté des ouvrages mit un terme définitif à l’intérêt géostratégique de ces fortifications.
Offrant aux promeneurs la vision d’un passé tourmenté où la nature a depuis repris ses droits, ces ouvrages militaires se laissent désormais découvrir par un circuit de randonnée à pied. Je laisse donc ma moto sur le petit parking et j'attaque la montée caillouteuse pour découvrir Fort Central le plus accessible pour ma petite condition physique...
Avec le traité de 1947, l'Italie perdit plusieurs communes liées par une histoire pluriséculaire au Piémont et à la province de Cuneo, trois grandes centrales hydroélectriques (Breil, Fontan, Saint Dalmas de Tende), un riche patrimoine forestier, de belles montagnes et trois refuges du Club Alpin Italien, remis au Club Alpin Français. Elle perdit aussi un important patrimoine artistique, dont la chapelle de Notre-Dame de Fontan, appelée la "chapelle sixtine des Alpes" pour les splendides fresques qui la décorent.
Elle perdit un site archéologique unique au monde: la Vallée des Merveilles, avec ses merveilleuses et mystérieuses gravures rupestres. Les habitants de la vallée de la Roya perdirent quelque chose de plus: leur identité historique. Leur culture, que cela plaise ou non aux Français, était essentiellement italienne.
La toponymie locale fut rapidement francisée. Les accents toniques et les significations furent oubliés. Tenda devint Tende, Briga, La Brigue, Vievola, Vieve (mais elle est récemment redevenue Vievola), Morignolo, Morignole, le village de ma mére Breglio sul Roia devint Breil sur Roya. La Valmasca, la légendaire vallée de la sorcière ("masca" en piémontais) devint Valmasque, ce qui ne signifie plus rien. Le lac des Mesce devint lac des Mèches, et même les forts du 19e siècle changèrent de nom. Le fort de la Margheria devint Marguerie, Pepino, Pépin, Tabourda, Tabourde, etc.
La mémoire historique changea, de manière orwellienne. Pendant ma balade, j’ai eu l’occasion de parler avec un berger de Tende au nom très "français" de Lanza, qui tenait ses moutons dans le fort de Tabourda et soutenait, avec la plus grande assurance, que les forts étaient l’œuvre de Napoléon III, comme naturellement aussi le tunnel routier de Tende !
Du côté italien la mémoire n’est guère meilleure: un article, publié il y a quelques années par un important quotidien turinois sur la zone de Tende, parlait clairement des "forts napoléoniens". Les habitants de Limone aussi, à propos de la première tentative de percement du tunnel de Tende, commencé sous Charles-Emmanuel I et repris sous Victor-Amédée III, parlent de "tunnel Napoléon". C'est fou ! comment peut on effacer la mémoire ainsi ....
Les noms des personnes changèrent aussi (seulement ceux de baptême, heureusement ! ). La loi française, en effet, n’autorisait pas les prénoms étrangers. Les habitants avaient un an, à partir de la date de l'annexion, pour opter soit pour la nationalité italienne et s’en aller en laissant tous leurs biens, soit pour la française et changer de prénom. (je rappelle ici qu'il etait interdit de parler le nissart jusqu'en 1970). Le gouvernement Français devait à tout prix éffacer l'identité culturelle de l'histoire du pays niçois.
Les noms de famille restèrent ceux de toujours (Cotta, Guido, Dalmasso, Pastorelli, Giordano, Molinari, Rostagni etc.), mais Giovanni devint Jean, Antonio Antoine, Giuseppe Joseph, Catarina Catherine etc. Si pour les vivants le changement de nom peut être compréhensible, il l’est moins pour les morts. Le monument aux morts de Tende ne fut par chance pas changé, mais la plaque du souvenir des morts de la deuxième guerre mondiale, morts au champ d’honneur, porte des noms francisés.
Le dernier de la liste est un jeune de Tende tombé en Algérie en combattant contre quelqu’un qui ne voulait pas être "rattaché"... À Piena Alta (Piene Haute), le monument aux morts élevé au centre de la place a disparu et la plaque posée à côté de l’église recense tous les noms des soldats en version française.
Par chance, au fil des ans, le chauvinisme français est allé progressivement en s’atténuant. En 1979 la voie ferrée a été finalement réactivée et les contrôles aux postes de frontière se sont progressivement atténués, jusqu’aux accords de Schengen qui les ont abolis totalement. Sur les plaques routières commence à percer un bilinguisme franco-dialectal. L’unique traité complet sur l’histoire de ces villages, écrit par le professeur Giorgio Beltrutti, un des membres les plus actifs du Comité italien contre le "rattachement", a été récemment traduit en français.
Des associations et publications locales, comme le périodique "A Vastera", ont permis de ressouder les liens, jamais tout à fait interrompus, entre habitants des villages séparés par la frontière. Même les festivités du cinquantenaire du "rattachement" se sont tenus de manière relativement sobre et modérée. Mais la vallée de la Roya reste l'une des oubliés du conseil general des Alpes Maritimes (enclavé en territoire italien) à la solde des partis Jacobins.
Les flux migratoires vers la France continuent mais ont pris d’autres caractéristiques. La majeure partie des résidences secondaires du littoral niçois (et au-delà) est la propriété des Italiens qui ont effectué inconsciemment et sans intentions nationalistes, une sorte de "rattachement" à l’envers. Dans la nouvelle Europe des Peuples, ce qui fut une frontière fortifiée et une "ligne de partage" est désormais devenu, heureusement, une simple frontière administrative, mais l'espoir de revoir un jour le comté niçois reuni reste marqué dans tous les esprits.... Notre identité est notre mémoire. Nous n'oublierons jamais.
DIAPORAMA DU FORT