Lieu de villégiature de tout ce que l’Europe et l’Amérique du Nord comptent de plus élégant et de plus fortuné, le Cap Ferrat est choisi en 1905 par la Baronne Ephrussi de Rothschild pour édifier l’une de ses « folies » architecturales. Lorsqu’elle découvre ce terrain en 1906, Béatrice a le coup de foudre pour la beauté du lieu.
Ce n'est pourtant encore qu'un rocher aride traversé par un sentier muletier. Lorsqu’elle apprend la mise en vente du terrain, également convoité par le roi des Belges Léopold II, elle l’achète immédiatement. Les travaux commencent en 1907 et dure cinq ans.
Béatrice Ephrussi se montre particulièrement difficile. Elle refuse les projets soumis par une dizaine de grands architectes, les considérants comme des « imbéciles ». Ainsi, les projets de Claude Girault, architecte du Petit Palais ou encore Henri-Paul Nénot, grand prix de Rome et concepteur notamment de la nouvelle Sorbonne sont écartés.
On retrouve donc aux commandes de ce chantier l'architecte Jacques-Marcel Auburtin qui satisfait scrupuleusement tous les souhaits de Béatrice. Il est assisté par Aaron Messiah, un architecte niçois qui construira par la suite plusieurs villas pour l’aristocratie.
Née en 1864, Béatrice est la fille du baron Alphonse de Rothschild, banquier et grand collectionneur d’art. À 19 ans, elle épouse Maurice Ephrussi, banquier parisien originaire de Russie de 15 ans son aîné et ami de ses parents. Mais le mariage tourne vite au désastre pour Béatrice, à qui Maurice transmet une maladie grave, ce qui lui interdira d’avoir des enfants.
Maurice est un flambeur et en 1904, ses dettes s'élèvent à plus de 12 millions de francs or, l'équivalent de 30 millions d'euros actuels. Inquiète pour l’avenir, la famille Rothschild décide de poursuivre Maurice devant les tribunaux pour demander la séparation. Elle obtient gain de cause et en juin 1904, après 21 ans de mariage, la séparation entre Béatrice de Rothschild et Maurice Ephrussi est prononcée. L’année suivante, son père meurt et elle hérite d’une immense fortune.
C’est à cette époque qu’elle décide de faire construire la Villa Ephrussi de Rothschild. Elle y prend ses quartiers d’hiver dès 1912. Elle y viendra régulièrement pendant une dizaine d’années durant lesquelles elle partagera son temps entre Paris et Monaco. En 1933, un an avant sa mort, Béatrice lègue sa Villa et la totalité de ses collections à l’Académie des Beaux-Arts.
Grâce aux marchands et experts dont elle a su se faire des amis, la Baronne Ephrussi de Rothschild a fait de sa villa une demeure de collectionneur où porcelaines, tableaux de maître et mobilier se côtoient. Au milieu du XIXe siècle, la famille Rothschild est déjà connue pour la qualité des collections rassemblées par plusieurs de ses membres. Béatrice hérite de ce goût pour les belles choses et en fera sa devise « ars patriae decus » : « l’art est l’honneur de la patrie ».
Son goût ayant été nourri aux meilleures sources, Béatrice meuble sa villa dans le plus parfait style Rothschild, c'est-à-dire avec le meilleur de chaque époque. Elle achète sans compter meubles signés, tapis d’Aubusson et de la Savonnerie, tableaux de Boucher, de Lancret, croquis et esquisses de Fragonard, tapisseries des Gobelins, services de porcelaine de Sèvres…
mais aussi des œuvres d’art médiéval et Renaissance et des objets venus d’Extrême-Orient, ce qui constitue une collection très éclectique. Béatrice meuble sa villa directement à la gare de Beaulieu sur Mer.
Le train de la Compagnie de chemin de fer Paris-Lyon-Méditerranée, dont la famille Rothschild était actionnaire, arrivait de Paris chargé de mobilier, d’œuvres et d’objets d’art. Elle choisissait alors sur le quai les œuvres d’art destinées à la Villa Ephrussi. Les autres partaient pour sa villa de Monaco. À sa mort, Béatrice lèguera plus de 5 000 œuvres d'art à l’Académie des Beaux-Arts.
Elle décide de concevoir le jardin principal comme le pont d'un paquebot. En effet, quel que soit l'endroit où l'on porte le regard, on voit la mer. Béatrice peut ainsi s'imaginer à bord du paquebot "Île de France". Laisser remonter les souvenirs heureux d'une croisière à bord de ce navire. La villa sera baptisée "Île de France" ! De la loggia, l'amirale Béatrice peut même surveiller son équipage de trente jardiniers, coiffés de bérets à pompon rouge.
La confection des jardins nécessita sept ans de travaux, de 1905 à 1912. Comme pour la villa, la baronne a fait appel à des personnalités de renom comme Harold Peto ou Achille Duchêne. Paysagiste fort prisé en Europe et aux États-Unis, il a bâti sa réputation sur la création de jardins d'inspiration classique.
Le site choisi pour la villa, grandiose par son double point de vue sur la mer, était par contre moins propice à la création d’un jardin. En effet, créer un parc sur un promontoire rocailleux couvert d’arbres et battu par des rafales de vent était un tour de force. Qu’à cela ne tienne ! Il suffit de dynamiter le sol et d’apporter d’énormes quantités de terre pour le remettre à niveau.
Des centaines d’ouvriers italiens sont embauchés pour ces titanesques travaux de terrassement. En 1912, date d’inauguration de la villa, les quatre hectares du jardin ne sont pas totalement paysagés : Béatrice Ephrussi a privilégié l’aménagement des espaces visibles depuis la maison, soit le jardin à la française. Jardin espagnol, jardin florentin, jardin japonais…, cette grande variété de jardins aurait sans doute séduit la première occupante des lieux.
Mais ils ne sont pas de son fait. On les doit essentiellement à Louis Marchand, peintre à ses heures, passionné de botanique et créateur de jardins. En 1934, date du décès de Béatrice Ephrussi et du don de sa propriété à l’Institut de France, Louis Marchand est chargé de restaurer le parc de la villa. Il décide alors de remblayer le terrain, de remettre à flot les bassins, puis de créer des jardins thématiques. Il crée en trois ans, un jardin complexe avec entre autre une bambouseraie, aujourd’hui disparue.
Avec la guerre, le Cap-Ferrat est vidé de ses habitants et miné. La Villa est laissée sans surveillance et les jardins abandonnés pendant deux ans. De retour en 1945, Louis Marchand se remet à la tâche dans des jardins très abîmés et leur redonne rapidement l'éclat d'avant-guerre. Senteurs et splendeurs des essences, diversité des plantations ravissent le visiteur, étonné et charmé par tant de magie végétale.
Pénétrer dans cet Eden, c'est embarquer pour un voyage autour du monde. Une croisière transatlantique. Le jardin à la française domine tous les autres. Par sa taille et par son emplacement. Il se trouve dans le prolongement direct de la villa.
Du bâtiment, la perspective s'impose, magnifique, close en son terme par le temple de l'Amour. Cette réplique exacte de celui de Trianon domine la cascade à degrés. La pente de celle-ci a d'ailleurs été spécialement structurée pour donner à l'eau un effet de blancheur, le fameux "châle d'eau" des Orientaux.
La Riviera. Un nom évocateur de luxe, de richesse. Un condensé d'élégance sur quelques kilomètres entre ciel et mer. Emplacement idyllique pour les volontés impérieuses de Béatrice.
En effet, apprécié pour sa beauté mais aussi pour la proximité de Nice et de Monte-Carlo, le Cap Ferrat attire à la belle Époque l'attention de l'élite internationale, qui prend ses quartiers d'hiver sur la Riviera. Aujourd'hui le jardin de la villa Rothschild est considéré comme l'un des plus beaux au monde...
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