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Rendez-vous avec Yvette ma partenaire de randonnée devant la gare mussolinienne de Saint-Dalmas-de-Tende, un bâtiment exagéré, aussi vaste que le Grand Palais dans un bourg de montagne, comme pour nous rappeler que cette zone frontalière située à 80 kilomètres au nord de Nice fut, jusqu'en 1947, italienne.
En haut les montagnes rocheuses des Alpes Maritimes. La pluie commence à tomber et un peu plus tard, ce sera la gréle et la foudre
C'est d'ici que l'on partira, comme la plupart des randonneurs. Comme partent depuis toujours les bergers et leurs troupeaux, à la Saint-Jean, pour monter à l’estive. Nous voici maintenant, dans le Parc National du Mercantour, créé en 1979. Un sanctuaire naturel de plus de 200 000 hectares, abritant une flore et une faune d'une richesse unique en Europe (le loup étant sûrement son spécimen le plus médiatisé).
roches schisteuses oranges chargées en fer et uranium
Le sentier monte de plus en plus, la vallée rapetisse au loin, avec la pluie, l'eau jaillit de partout, transformant le chemin en gué et le sous-bois en tapis spongieux recouvert de gentianes et de rhododendrons miniatures. Sur certains mélèzes au tronc courbé par le poids de la neige de cet hiver (elle tient huit mois par an), l'écorce est fendue de haut en bas, comme une peau de banane épluchée : la foudre, une fois de plus, a frappé.
On dirait de la fuchsite ou de l’amazonite ? Je ne sais pas trop.. Les geologues se regalent: Migmatites, quartz, mica, gneiss, granites, anphibolite, pyrite, arkose, grés, marbre, gypse, uranium, fer, etc...
Ici, la roche est si riche en minerai de fer que les éclairs tombent dix fois plus qu’ailleurs. Quand l'orage menace, on conseille aux randonneurs d'abandonner leurs bâtons de marche trop modernes, ceux dont la fibre de carbone peut se révéler aussi efficace qu'un paratonnerre pour attirer l'éclair tueur. On a vu la foudre tomber pas loin de nous, puis immediatement un déluge de gréle s'abatit sur nos tétes.
La haute montagne a toujours fait peur aux hommes. Mais celle-là a un dossier chargé. La toponymie à elle seule raconte toutes les superstitions et les terreurs qu'elle a engendrées. Voici en contrebas le val d'Enfer, plus loin le pic du Diable. On a passé les 2 500 mètres, les arbres ont disparu, laissant place aux débris rocheux des moraines.
Le lichen jaune sur la roche granit calcaire
Amas de blocs jetés en vrac sur une pelouse vert phosphorescent. A l'ombre, quelques névés attendent de fondre. A peine ouvert, l'amphithéâtre minéral s'étrangle plus loin en un corridor oppressant. On lit dans le paysage la puissance inouïe du glacier qui l'a forgé. Nous sentons la roche qui devient magnétique et nous sommes loin d'étre rassurés.
A gauche un vieux fort militaire abandonné depuis Victor Emmanuel II roi de Piemont-Sardaigne. On imagine la solitude des soldats.
Enchâssée au cœur du Parc national, cette zone de 3 500 hectares autour du mont Bego a été classée monument historique en 1989. Elle constitue le plus haut des musées à ciel ouvert, culminant à 2 872 mètres d’altitude. C'est ici, sur la roche abrasée par la poussée millénaire du glacier, que des hommes ont gravé des signes.
La roche devient magnetique avec la foudre. Quelle etrange sensation ! Quel spectacle fascinant et effrayant à la fois
D'innombrables signes piquetés dans le schiste et le grès: personnages stylisés, symboles géométriques, armes diverses, animaux, bêtes et cornes. Surtout des cornes. Des cornes par milliers. On comprend tout d'un coup, dans ce chaos géologique, pourquoi le lieu a toujours effrayé. Ces cornes gravées partout dans la pierre n'étaient-elles pas la marque même du diable ?
Pause pique-nique avant que l'orage ne nous retombe sur la testa
Il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour démontrer que ces gravures ne sont pas l'œuvre du démon, mais bien la marque de l'homme et de son histoire. Ou plus exactement de sa protohistoire. Sur près de 4 000 rochers, on a recensé à ce jour plus de 100 000 gravures, la plupart réalisées entre 3900 et 1800 avant J.-C. Soit de la fin de la période néolithique à celle de l'âge du bronze, à l'époque où tout l'arc alpin est habité par des peuples d'éleveurs-agriculteurs maîtrisant la métallurgie, les Ligures.
Peuples d’agriculteurs, de guerriers ou de marins, il aura fallu 50 ans aux Romains pour les soumettre alors que la Gaule fut conquise en 4 jours. Ce sont leurs vraies armes (poignards, haches, hallebardes), mises au jour lors de fouilles sur ces sites archéologiques, qui ont permis les datations des gravures par analogie des formes.
Oui je sais, je suis super sexy ! Mais je n'en méne pas large. Je connais trop bien la montagne et je suis inquiet !
La montagne sacrée du Bego devait être considérée comme la demeure du «couple primordial», le dieu Taureau «dispenseur d'orage» et la déesse Terre, divinités récurrentes des civilisations anciennes. Les hommes du néolithique puis de l'âge du bronze seraient venus leur rendre un culte et graver des signes sur les parois.
C'est reparti la pluie nous accompagne... je dois vite proterger l'appareil photo de la gréle.
Cette pratique religieuse, enseignée et transmise de génération en génération, forme ce que l’on considère comme un « codex de pierre » : Ces pétroglyphes sont une protoécriture et constituent un langage sacerdotal. C'est une histoire qui remonte comme on dit à la nuit des temps. Et le randonneur assis à la Baisse de Fontanalba ou au sommet du Mont Bégo est bien souvent loin de soupçonner les formidables bouleversements qui se sont produits ici et qui ont façonné les paysages que l'on peut admirer aujourd’hui.
On arrive à la baisse de Fontanalba et nous sommes à la moitié de notre parcours aprés 6h de marche à 2568 métres
Nous voici propulsés quelque 260 millions d'années en arrière. Destination ? Un paysage composé de steppes désertiques, de grands lacs et de volcans qui crachent leurs cendres. Une cendre qui se mélange ici aux eaux boueuses des lacs, pleines de sable et de limon. La main divine du créateur posant là quelques touches de couleur rouge, violette ou verte que, plus tard, l'alchimie subtile des eaux de ruissellement ferrugineuses et oxygénées finiront de colorier en ocre.
J'aperçois plusieurs chamois en contrebas
Une période qui durera 45 millions d'années où se formèrent les roches dites de la série des Merveilles et en particulier les très belles pélites. Nous sommes là à la fin de l'ère primaire. Il y a environ 40 millions d'années un bouleversement gigantesque va se mettre en place; c'est la surrection des Alpes du sud et l'apparition des hauts sommets des Alpes Maritimes et du Mercantour, Argentera (3297m), Gélas (3143m), Clapier (3045m), Malédie (3059), Tenibre (3031), Corborant (3007), Guille (2999), Tete de l'Hubac (2991), Grand Cimons (2996), Capelet (2935) Bego (2872)...Les Grands 3000 du Pays de Nice.
On croise des randonneurs qui traversent un névé. Ce sont les premiers aprés 3h de marche.
Toutefois un nouvel élément va venir modeler le relief et ainsi parachever l'oeuvre de la nature pour préparer aux hommes du bronze de grands tableaux d'ardoise sur lesquels ils pourront nous écrire. Il y a 20.000 ans, une calotte glaciaire recouvre l'europe. Les glaciers alpins sont très développés. La Vallée des Merveilles, le Mont Bégo, le Grand Capelet, sont sous les glaces.
La pluie a formé un point d'eau naturel ou les animaux sauvages pourront venir boire..
Les glaciers, par leurs puissants effets de rabotage, vont polir et strier les schistes, roche sédimentaire à grain fin de la vallée, et laisser ici après leurs disparitions un témoignage exceptionnel de cette incroyable époque, un véritable « musée des formes ciyonivales ». Ainsi lentement, au fil des millénaires, s'est mis en place un paysage particulier et sans doute unique.
Devant nous, le Grand Capelet
Mais quel est l'homme qui pour la première fois admira ces paysages ? Impossible de le dire, cependant il semble vraisemblable que des bergers ou des chasseurs habitant les vallées alentour, membres d'une de ces peuplades ligures, occupant les proches reliefs au dessus de Nice et les hautes vallées montagnardes, soient venues ici et aient été saisies par l'ambiance si particulière du site de montagne.
Le temps qu'ils donnent sur les panneaux, vous pouvez le doubler... (ce sont des temps de marche sportive sans prendre le temps de faire des photos)
Une ambiance que chacun peut essayer d'imaginer, de sentir. Il suffirait (ce qui n'est pas recommandé) de partir seul, par une belle matinée de printemps ou d'été, de monter toujours seul vers les gravures rupestres du sorcier ou du bras en zigzag et puis lentement, sans se soucier ou sans pouvoir en définir les signes prémonitoires, voir gonfler à la mi-journée les cumulus d'orage et vivre en ces lieux le déchaînement des orages, pour en imaginer l'impact sur l'esprit des hommes qui osèrent les premiers s'aventurer dans ces hautes terres inhospitalières. On a vécu l'experience et c'est térrifiant !
Il faut descendre maintenant les rochers de Sainte Marie pour aller de l'autre coté.. En face, les Grands 3000 des Alpes Maritimes Pays de Nice. En bas à gauche un cairn qui indique le balisage de la randonnée.
Hommage au guide de montagne Hervé Gourdel, c'etait son territoire..
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DIAPORAMA DE LA BALADE